Antoine Cau

Ces pages spéciales vous présentent la vie, les réalisations, les conceptions et les idées d'un homme d'exception au service de notre passion. Elles reprennent intégralement l'article qui lui est consacré et qui vient de paraître dans Spélé Aude n°11. Etant donné le volume du sujet, vous pouvez télécharger le dossier complet en cliquant .

Un an a passé, un an déjà que Toinot, comme le surnommaient affectueusement ses intimes, nous a quittés, laissant à ceux qui l'ont connu une impression de vide, de manque difficile à combler.

Après une évocation trop brève dans le numéro 10 de Spélé Aude, il nous a paru essentiel de revenir sur sa vie, non pas pour en faire un éloge posthume dithyrambique, il n'aurait pas tellement apprécié, mais surtout pour faire ressortir, comme valeur d'exemples, à toutes générations confondues, les qualités humaines fondamentales et représentatives d'un homme qui a consacré une grande partie de sa vie au service des autres, que ce soit dans l'exercice de son métier d'enseignant ou dans son bénévolat totalement désintéressé au service de sa passion, la Spéléologie.

A travers cette évocation de sa vie, de ses réalisations et des témoignages que beaucoup nous ont adressés, c'est toute la richesse humaine du personnage que nous voulons transmettre aux générations futures et rappeler à ceux qui l'ont côtoyé de près ou de loin.

Synthèse réalisée par Christophe Bès grâce aux renseignements et témoignages fournis par Yvette Cau, Marie-Françoise Astier, Martine Colné, Guy Palmade, Georges Rives, Pierre Clottes, Albert Hernandez, Marie Guérard, Jean-François Vacquié et Max Gramont.

Sa vie

Antoine Cau est né le 3 mars 1925 à Alzonne (Aude) dans la plaine lauragaise, riche terre agricole plate dont il ne gardait pas un souvenir impérissable, préférant, et de loin, les reliefs pyrénéens. Sa mère, Adrienne Desjean était receveuse des Postes et son père, Alexandre Cau, exerçait comme comptable aux établissements Baurès à Carcassonne. Il est mort jeune, à 35 ans, en 1940 (Antoine a alors 15 ans à peine), laissant la famille dans une grande détresse.

Antoine sera alors principalement élevé par ses grands-parents paternels, viticulteurs à Alzonne. L'époque n'est pas encore celle du gaspillage et on connaît la valeur des choses, tout est utilisé et récupéré jusqu'à la dernière miette, la dernière utilisation. De ce temps là, Antoine gardait par exemple l'habitude de recycler tous les bouts de papier ou de carton qui traînaient pour y inscrire ses innombrables notes, comptes-rendus, idées... et de les remplir complètement d'une écriture serrée et régulière, par ailleurs très lisible mais difficile à retranscrire tant sa densité était grande. Il gardait aussi par exemple, on ne sait d'ailleurs pas pourquoi, les rouleaux de ruban de machine à écrire usagés qu'il rangeait dans de petits sacs plastiques agrémentés d'une étiquette indiquant ce qu'il avait tapé avec !

On ne sait pas non plus d'où il tenait une autre de ses habitudes, celle de noter systématiquement tous les détails de ce qu'il entreprenait, que ce soit dans sa vie personnelle, professionnelle ou ses loisirs.

En 1943, sa mère est nommée receveuse à Sainte Colombe sur l'Hers, un petit village perdu au fin fond de l'Aude au pied du Pays de Sault. Il y découvre la montagne, de nouvelles variétés de champignons, les fraises des bois et la pêche à la truite. Toinot a vécu la guerre en spectateur impuissant vu son jeune âge, les échos du puissant maquis de Picaussel qui régnait sur le Pays de Sault lui sont sans doute parvenus ; peut-être a-t-il songé à rejoindre la résistance ?

Malgré sa jeunesse, ses connaissances en langue anglaise lui ont permis de jouer un rôle mineur, mais non négligeable, dans le combat inégal qui se jouait alors, il servit d'interprète auprès d'un parachutiste américain tombé dans le secteur. Nous ne savons pas s'il a poursuivi son action, apparemment pas.

C'est dans ce village qu'il rencontre également Yvette Rolland qui deviendra sa femme en 1947. Il passe son baccalauréat en 1943 puis rentre à la faculté à Toulouse où il entreprend des études d'anglais. Son premier poste l'amène à Mazamet en 1946. L'année suivante se passe en Angleterre où il est assistant en anglais et où il perfectionne sa pratique avec son accent rocailleux inimitable. Doté de son CAPES, il débute réellement sa carrière professionnelle au collège de Mirande dans le Gers à la rentrée 1948. Il y restera deux ans.

Deux filles viendront bientôt animer le foyer, Marie-Françoise, née en 1950 et Martine, la cadette, en 1957. Il est ensuite nommé au collège Blaise d'Auriol à Castelnaudary jusqu'en 1958. Il arrive alors à Carcassonne, au Lycée Paul Sabatier où il restera 10 ans jusqu'en 1968, les « bourriques rouges » qui l'ont connu s'en souviennent encore ! Il se tourne ensuite vers le collège La Conte, situé à deux pas de son logement, où il passera seize années, de 1969 à 1985, année où il quitte la vie active pour goûter à une retraite bien méritée.

Le reste de sa vie se partagera entre les activités intellectuelles (lecture, mots croisés, publications spéléologiques), physiques (cyclotourisme, randonnées pédestres, montagne, spéléo, cueillette de champignons) et sociales (bénévolat au service de plusieurs causes et de la spéléo qui occupait, on s'en doute, une place très importante). La maladie vint le frapper en 1998, il lutta avec courage, sans une plainte, continuant, dès qu'il le pouvait, à faire de belles randonnées à travers l'arrière pays. Mais le combat était inégal, il s'est éteint le 5 mars 2001.

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Sa carrière : les débuts

Au camp des Bordes des Bois, été 1945.

Antoine CAU découvre la spéléologie à l'âge de 20 ans dans les environs de Sainte-Colombe-sur-l'Hers, au pied du Pays de Sault. Avec trois camarades, ils visitent la Grotte de l'Homme Mort, située près de Rivel. Nous sommes en août 1945, on sort à peine de la seconde guerre mondiale, les dégâts sont immenses et les privations toujours importantes. La liberté retrouvée et la fougue de la jeunesse les poussent à trouver des exutoires à leurs frustrations, l'exploration des cavernes en sera un, cimenté par de fortes amitiés comme Antoine en a laissé de nombreux témoignages dans ses écrits de l'Echo des Ténèbres ou de Spélé Aude relatant les débuts de la Société Spélélologique du Plantaurel.

C'est en sortant de cette grotte qu'il a réellement attrapé le « virus » de la spéléologie, mais écoutons-le :
« En vérité, ce n'est pas la première grotte qui n'a rien d'extraordinaire sauf son nom, mais la deuxième que nous avons découverte et réellement explorée ce même jour qui a suscité mon engouement. En sortant de la Grotte de l'Homme Mort, nous décidons de faire un peu de grimpette au-dessus de l'entrée pour achever l'après-midi et c'est au cours de l'escalade que nous apercevons un orifice étroit, dissimulé par la végétation. Au bout de quelques mètres de boyau, un à-pic de 5 à 6 mètres nous arrête. Grâce à la corde, nous sommes tous au fond en quelques minutes, dans une salle minuscule. Déçus, nous nous apprêtons à remonter lorsque j'aperçois à mes pieds quelque chose qui ne ressemble pas à un caillou ; c'est long, arrondi, renflé à une extrémité. Je le ramasse, je le frotte ; aucun doute, je viens à peine de terminer ma classe de Philo et mes souvenirs scolaires sont encore tout frais : c'est un fémur indiscutablement humain ! Cette mémorable journée d'initiation fut le point de départ de ma vocation spéléologique... »

Quelque temps après, Antoine apporte ces os au docteur Marcel Cannac (fondateur et Président du Spéléo Club de l'Aude) pour examen et entame avec celui-ci une conversation décisive qui va le conforter à entamer assidûment une carrière spéléologique essentiellement consacrée à son terroir et à la résolution de l'énigme de la fontaine de Fontestorbes, la célèbre source intermittente de Bélesta.

Ce virus de la spéléo, il le gardera toute sa vie, contre vents et marées, malgré « les déceptions et les désillusions », allant jusqu'à dire « je ne mourrai sans doute pas de la spéléo, mais je ne m'en débarrasserai probablement jamais complètement. »

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Sa carrière : l'âge d'or

La carrière spéléologique d'Antoine Cau se confond en tous points avec les débuts et l'avènement de la Société Spéléologique du Plantaurel (SSP). Il en fut le secrétaire et l'homme à tout faire pendant près de 30 ans, laissant ensuite (en 1976) la place à une équipe de jeunes dynamiques qu'il avait en grande partie formée et à qui il avait transmis la passion de la spéléo et des karsts locaux.

Antoine n'était pas vraiment un homme de pointe, celui qui forçait les étroitures les plus sévères, ni celui qui entreprenait des descentes périlleuses ou des escalades risquées. Il manifestait une certaine crainte mêlée de respect devant les obstacles difficiles des cavernes : « Une certaine dose de risque augmente le plaisir, mais point trop n'en faut et, au-delà d'un certain seuil, elle fait office de frein plutôt que de stimulant. »

La peur du noir l'inquiétait :« Le manque subit de lumière dans ce noir absolu peut avoir un effet littéralement affolant et peut faire perdre son sang-froid au plus équilibré. J'ai eu moi-même une brusque panne de luminaire alors que je m'étais écarté de mes camarades pour explorer un couloir inconnu, et la demi-heure que j'ai passé seul, incapable de bouger dans l'obscurité complète, en attendant que quelqu'un s'inquiète et réponde à mes appels, ces trente minutes m'ont semblé interminables et terriblement angoissantes. »

Les explorations d'envergure le rendaient soucieux : « Lorsque l'exploration est longue et pénible, il faut s'avoir s'arrêter à temps afin de conserver l'énergie nécessaire au retour. Bien entendu, cela est encore plus évident quand il s'agit de puits verticaux dans lesquels la remontée est bien plus ardue que la descente. Lorsque nous avons eu nos premières échelles, notre mot d'ordre était : Descendons, et ne nous occupons pas du reste. Mais nous avons eu vite fait de changer de comportement, après deux ou trois expéditions d'où nous sommes revenus à grand peine, à demi-morts de fatigue et d'une humeur massacrante, après des heures passées à nous hisser nous-mêmes avec nos sacs, puis à retirer les échelles qui, comme par un fait exprès, s'accrochaient continuellement. »

D'ailleurs, il admirait beaucoup les spéléos modernes qui semblaient pénétrer sous terre avec beaucoup de décontraction et de plaisir, même pour accomplir des explorations d'envergure. Il a participé ou suivi toutes les découvertes de son club, étant toujours à la recherche du grand réseau qui les aurait menés à Fontestorbes ou à Font Maure, s'éloignant très peu de ses karsts de prédilection.

Après les explorations de l'Homme Mort, les - 194m des Corbeaux en 1947, les explorations se sont succédé, montrant l'immense potentiel du Pays de Sault et révélant des centaines de cavités, toutes décrites, répertoriées et fichées avec soin. Nous ne pourrons en faire ici une liste exhaustive car toutes ces archives sont conservées précieusement par la SSP, mais on peut en citer quelques unes parmi les plus importantes.

Rec de Agreus, 1961.

Dans le Pays de Sault, c'est le Rec des Agreus, attaqué en 1949, 1954 et achevé en 1962 qui, avec ses 224m de profondeur, devint le plus profond du secteur, un petit exploit pour l'époque ; le Trou du Vent du Pédrou (découvert en 1948) et son étage fossile concrétionné de 400m de long, qui deviendra une grande classique, et qui l'est toujours. Viennent ensuite des cavités importantes mais qu'ils ne font qu'effleurer, ne disposant pas des moyens de désobstructions modernes, comme le Gouffre des Oillets qui atteint maintenant 5 km de développement pour -250m, avec la jonction avec celui de la Grande Rassègue (publié dans Spélé Aude n°10) qui est descendu jusqu'à -63m en 1957 ou le Barrenc du Soula del Pinet (voir Spélé Aude n°2), près de Comus où ils atteignent les -65m en 1967 et qui sera prolongé jusqu'à -467m en 1990 à la suite d'un travail d'équipe remarquable, devenant ainsi la plus profonde cavité du Languedoc-Roussillon.

Au Gouffre du Trabanet, en 1960 et 1967, découverte et exploration d'une deuxième entrée qui jonctionne à -100m par le plafond de la grande galerie. Le Gouffre des Chandeliers n°3 en 1971 jusqu'à -111m et le Trou de Vent du Blau (-102m) dans les années 50. En 1965, c'est la découverte de la suite de la Grotte de l'Aguzou avec Jean Bataillou qui s'appropriera et exploitera ensuite la cavité (caverne au concrétionnement exceptionnel et de plus de 5 km de développement). Dans la vallée du Rébenty, deux découvertes importantes s'ajoutent à la liste, la Grotte des Oreillards (595m) en 1969 puis celle du Pylône (733m) en 1974 et 1975.

Il y aura aussi des incursions loin des bases traditionnelles. En 1959, ils réalisent, avec le SCA, la jonction entre le Barrenc de Cabrespine et l'entrée basse du Gaugnas (-93m). Ils participent aussi à des explorations au réseau de Trassanel en 1964 ainsi qu'au début de l'Aven de Clergue (voir article dans ce numéro). Dans les Corbières, ils explorent en 1953 l'Aven de la Mateille jusqu'à -88m, l'aven du Roc de Nabant avec le SCA en 1960 (-55, +45).

Ce sont bien sûr également les formidables désobstructions entamées à Comus, à la fameuse perte et aux Mijanes, près de Fontestorbes. Ce sera un accès spectaculaire au phénomène d'intermittence mais la fameuse rivière dont rêvait certainement Antoine ne sera pas au rendez-vous.

Du côté des Pyrénées espagnoles, Toinot a participé aux reconnaissances, prospections et explorations de deux karsts d'altitude. Au sud du Mont Valier (sommet emblématique des Pyrénées ariégeoises), le karst des Cuns d'Aula voit la SSP en 1975, 1976 et 1984. Ils y découvrent une quarantaine de cavités dont la plus importante atteint -155m pour 1,5 km de développement.

Plus au sud encore, le massif de la Roca Blanca, pratiquement vierge, accueille le club en 1977 au cours de trois camps estivaux, puis en 1979 et 1982. De nombreuses cavités sont découvertes dont le fameux Gouffre Jean-Paul Larrégola (EA 5) qui atteint rapidement la profondeur de -322m, constituant un nouveau « record » de Catalogne qui résonnera comme un coup de tonnerre dans toute la région. Antoine ne descend alors déjà plus très profond mais reste un des plus motivés et un des plus vaillants en prospection.

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Sa carrière : la reconversion

Ayant passé l'âge de s'éclater sous terre, Toinot va se destiner entièrement, à partir des années 75, à l'étude de nombreuses zones du Pays de Sault. Il prospecte, explore, topographie une multitude de petites cavités, laissant aux plus jeunes les explorations plus exigeantes. C'est ainsi qu'il a établi aux alentours de 300 fiches de cavités se répartissant entre l'Aude, l'Ariège et quelques unes en Espagne ; fiches alimentant les fichiers des CDS respectifs. Il se consacre également et, on peut le dire, presque entièrement, à la création du bulletin du club « L'Echo des Ténèbres ». À partir d'octobre 1977 et jusqu'en octobre 1985, il va superviser la confection, les corrections bien sûr, l'impression et la diffusion de 17 numéros de ce bulletin semestriel, réalisant un travail de titan dont ses camarades auront bien du mal à suivre le rythme et on les comprend. Il n'hésitait pas à tirer l'oreille des auteurs un peu lents ou pris par d'autres tâches et, petit à petit, va se retrouver esseulé, isolé et finalement incompris, ne réalisant pas l'impossibilité de tenir cette cadence de parution, ce qui amènera l'arrêt de la publication qui avait pourtant acquis une belle renommée.

Cette incompréhension réciproque sera ressentie par Toinot comme un échec personnel et une frustration qui accentuera les malentendus, faisant d'Antoine une personnalité décriée, surtout par ses pairs, ce qui est un comble mais peut relativement se comprendre par la différence d'exigence et de passion existant entre Toinot et les nouvelles générations. Petit à petit, il va se détacher plus ou moins inconsciemment de son club qu'il chérissait tant pour en arriver à le quitter en 1991.

Même s'il ne l'a jamais dit ouvertement, son départ de la SSP a été un véritable déchirement et il a dû falloir beaucoup de désillusions, d'oppositions, d'incompréhensions pour qu'il en arrive à une telle décision, lui qui considérait son club comme un de ses propres enfants.

« Quant à moi, j'ai quitté à regrets la SSP en décembre 1991... Je reste spéléo, au moins de cour et de surface, car mes incursions sous terre se font de plus en plus rares. je m'intéresse de loin à la vie de la SSP à laquelle j'ai finalement consacré 46 ans de mon existence. Pendant ce presque demi-siècle, j'ai toujours fait passer l'intérêt du club avant le mien. A ma façon, avec mes moyens et ma rectitude d'esprit, j'ai eu comme unique but de contribuer à faire de lui une association structurée, rigoureuse, performante... En somme, je voulais me sentir fier de la SSP comme un père veut être fier de son enfant. Cela explique pourquoi je me suis si profondément impliqué dans le bulletin « L'Echo des Ténèbres ». Mais mon objectif n'a pas toujours été bien compris, mes efforts pas toujours bien appréciés, ma rigueur pas toujours bien acceptée. Dommage. »

Son côté paternaliste n'était pourtant pas condescendant mais irritait certaines de ses « ouailles », qui, n'ayant pas ses qualités intellectuelles, ni sa motivation et encore moins sa puissance de travail, en cultivaient, à tort, une certaine jalousie et de l'amertume. Sentiments qui seront exacerbés au moment de son départ de la SSP et qui se cristalliseront ensuite sur son rôle au niveau du CDS. Ces chicaneries perpétuelles et infondées qui minent le CDS depuis longtemps lui en avaient fait quitter prématurément la présidence alors qu'il aurait pu l'assurer pendant longtemps encore.

Dans un avenir plus ou moins proche, les prochains dirigeants reconnaîtront l'immense travail accompli, et surtout, les résultats apportés par son équipe à toute la communauté spéléologique audoise, le tout acquis par un bénévolat total représentant des centaines de courriers, de coups de fil, de dossiers, de réunions,. simplement motivés par la reconnaissance de la valeur de la spéléologie audoise. Un bilan que bien des CDS nous envient et qu'on peut grandement lui attribuer et l'en remercier. Ce fut un dirigeant exemplaire et efficace.

En 1992, il s'inscrit au Spéléo Corbières Minervois, club proche de son domicile et dans lequel il retrouve des personnes qu'il côtoie depuis longtemps au CDS et qui partagent certaines de ses valeurs. Avec elles, il va concrétiser l'idée d'une nouvelle publication, décidément un véritable leitmotiv pour lui, départementale cette fois et correspondant tout à fait à ses conceptions de la spéléologie. Dans cette ouvre aussi, il va se donner à fond, mais en ayant retenu les leçons du passé. Il va s'intégrer comme membre d'une équipe dans laquelle les rôles sont bien répartis. Là aussi, ce sera un succès, un succès qui perdure et qui lui survivra longtemps, nous l'espérons. Ces nouvelles responsabilités et une approche plus décontractée de la spéléologie vont lui redonner le goût de l'exploration et, dans ses dernières années, il aura la joie de participer à de nombreux travaux et découvertes de son nouveau club. Citons quelques unes des plus significatives.

La plus importante est l'exploration de la Font de Dotz à Bugarach en 1990. Cette belle cavité est entièrement explorée après pompages et livre 3 km de conduits variés. Antoine participe aux sorties principales et, à plus de 65 ans, a la joie de parcourir plusieurs centaines de mètres de galerie en première, ce qui était un des plus beaux cadeaux que l'on pouvait lui faire. Cette période sera riche en pompages, synonymes de pas mal de galères et de nuits blanches mais couronnés de belles découvertes et de chaleur humaine.

À Auriac, c'est le Rec de l'Ermita, dont il redécouvre l'entrée, qui livrera en 1989 près de 400m de galeries post-siphon avec de belles perspectives.

À Fourtou, les grottes du Parégot amèneront aussi, après de longs travaux divers étalés de 1989 à 1994, quelques centaines de mètres de première.

Antoine participera également activement aux travaux à la mine de Rieussec en 1989, 1992 et 1993, ponctués de désobstructions délicates dans des trémies mouvantes mais récompensés par la réouverture de la magnifique grotte aux cristaux de la mine (voir photo de couverture) et l'accès à d'autres cavités prometteuses dont l'une dépassera les 100m de dénivellation.

De 1992 à 1994, ce sera aussi la belle aventure de la Grotte de la Madourneille dans laquelle plus de 1,5km seront parcourus après la vidange de 4 siphons successifs où il tiendra surtout la main courante des activités avec une minutie et une constance toujours impressionnantes. Ce sont encore bien d'autres aventures qu'on ne peut pas toutes évoquer mais dont certaines sont décrites plus loin par Marie Guérard. L'âge aidant, Antoine ne fera plus que de rares incursions souterraines mais se tiendra toujours au courant, avec autant de passion et d'intérêt de nos propres découvertes mais aussi de l'actualité spéléologique audoise. Sur la fin de sa vie, il ne put participer à la belle exploration du Bufo Fret qui nous emmena dans l'intimité du Pech de Bugarach qu'il avait si souvent gravi mais il nous accompagnait par la pensée et s'informait régulièrement de l'avancée des découvertes.

Il n'aura pas connu non plus la toute récente (2001) belle découverte de son ancien club, la SSP, dans un secteur où il pressentait l'existence de cavités importantes, le Trauc de la Caudière, actuellement profond de 122m pour 1,5 km de long, qui présente de gros conduits fossiles. La Société Spéléologique du Plantaurel a eu la délicatesse de baptiser une salle en son honneur et, même s'il n'y tenait pas particulièrement, c'est amplement mérité et ça doit quand même te faire plaisir, non ? Antoine ?

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Son caractère, ses principes et ses valeurs

Toinot était avant tout un homme de valeurs et de caractère, élevé au biberon de la laïcité et des valeurs républicaines. Un homme de tolérance, d'ouverture et de discussion. On pouvait parler avec lui de toutes sortes de sujets, sans aller à l'énervement ou à l'emportement. Quel que soit son interlocuteur (comme Raymond Chésa par exemple, maire de Carcassonne qui appréciait particulièrement les débats d'idées avec Toinot malgré leurs profondes divergences politiques sur le fond), Toinot le respectait, écoutait ses arguments mais énonçait aussi les siens avec beaucoup d'assurance et la ferme conviction d'avoir toujours raison dans le fond, prenant certainement beaucoup de plaisir à ces joutes verbales.

L'éducation, l'instruction, la vie de famille, la droiture, la justice, le civisme et l'honnêteté intellectuelle étaient ses valeurs phare mais sans tomber du tout dans un extrémisme populiste si à la mode de nos jours et qui l'horripilait tant.

Une des manifestations de son sens civique était le Don du Sang, il ne manquait pas une campagne. Il le faisait pour les autres bien sûr, ne se doutant sûrement pas que, par un tragique raccourci du Destin, il devrait en bénéficier un jour lui aussi à la fin de sa vie. Preuve palpable de l'utilité de sa générosité. Il reçut d'ailleurs à ce titre l'insigne d'Or des donneurs de sang bénévoles en 1975.

Bien que n'ayant aucune attirance pour les honneurs, ses qualités et ses mérites lui ont valu d'être nommé très tôt Chevalier des Palmes Académiques en 1975 et Officier du même ordre en 1981.

Pour son altruisme et son dévouement au service des jeunes, il reçut également la médaille de bronze de la Jeunesse et des Sports en 1977, suivie de celle d'argent en 1980 et enfin, celle d'or en 1990. Celle-ci lui fut remise par Alain Bambuck en personne, alors ministre de la Jeunesse et des Sports, lors de l'inauguration de la Maison des Sports à Carcassonne.

Les courriers échangés à cette occasion sont significatifs. En voici quelques extraits :

« Cette distinction vient honorer la remarquable action bénévole que vous conduisez depuis des années. » (A. Siblot - Directeur Départemental JS)

« J'en suis à la fois très heureux et quelque peu confus, car j'ai conscience que mon curriculum vitae purement spéléologique ne justifie guère une si haute distinction. Je n'ai à mon actif ni record de profondeur ou de longueur, ni découverte de cavité prestigieuse, mais seulement la durée, la longévité, et des efforts constants pour défendre la spéléologie et promouvoir l'amitié, au sein de mon propre club et du Comité Départemental que j'ai l'honneur de présider. J'estime donc que cette médaille, au-delà de ma bien modeste personne, vient récompenser la spéléologie audoise toute entière de son obscur travail et de ses remarquables résultats. » (réponse d'A. Cau à A. Siblot)

« A travers ma modeste personne, c'est toute la spéléologie audoise qui est ainsi récompensée de son obscur travail et des remarquables résultats obtenus, tant dans le domaine de la découverte pure que dans celui de la protection des eaux, de l'environnement et de notre patrimoine souterrain. » (réponse d'A. Cau au Préfet)

Un perfectionniste : Antoine Cau voulait toujours mieux faire, aller plus loin et poussait ses collègues à donner le meilleur d'eux-mêmes, quelquefois avec beaucoup d'insistance, certainement trop au goût de certains. Mais c'était toujours pour la bonne cause : la promotion et la défense de la spéléologie et surtout de l'Audoise.

10° anniversaire du CDS (extraits) : « Bien entendu, nous ne devons pas maintenant nous croiser les mains sur le nombril et nous contenter de contempler béatement ce que nous avons mis sur pied. »

Rapport d'activités CDS 1974 : « Peut-être suis-je trop optimiste en pensant qu'on peut régler non seulement ces deux problèmes, mais encore plusieurs autres ? Pourtant, je crois que c'est possible, à une seule condition : que chacun apporte son moellon à l'édifice, que chacun collabore à une tâche selon ses capacités et ses goûts, que chacun s'intègre davantage à la vie du Comité, car, je le dis sans ambages, avec un peu d'amertume, jusqu'ici, il y a eu une majorité de spectateurs, et quatre ou cinq acteurs au plus. Cette amitié, cette solidarité que j'ai toujours soulignée dans mes rapports, elles existent certes, mais il faudrait qu'elles dépassent plus fréquemment encore le stade de la rigolade, de la tape dans le dos ou de la parlotte. »

Toinot avait un caractère bien trempé et des principes... presque inamovibles mais basés sur un profond sentiment de justice et d'équité. Il accomplissait son travail de professeur avec autant de sérieux et de rigueur qu'on lui connaissait par ailleurs, vous imaginez le résultat ! Aussi prenait-il très mal les allusions sur sa façon de travailler ainsi que les orientations prises par l'Education Nationale comme le montrent les extraits suivants.

Rxtrait du discours de départ à la retraite du 28 juin 1985 : « En vérité, au cours de mes 39 ans d'enseignement, j'ai fait de mon mieux, jusqu'à la fin, même si ces derniers temps, ce n'était pas très facile, surtout avec la classe de 3° BC, qui m'a poussé jusqu'aux extrêmes limites de ma patience proverbiale, et souvent au-delà. Mes voisins de palier devaient parfois se demander quel était le volcan qui entrait subitement en éruption de l'autre côté de la cloison... Ils jouiront désormais de plus de calme. »

Au cours du même discours, il fait part à plusieurs reprises de ses inquiétudes et livre quelques réflexions sur l'avenir de l'enseignement : « Je ne sais pas si cette situation changera ; je souhaite qu'elle change, et le plus tôt possible, dans l'intérêt des enfants, et dans le vôtre aussi, mes chers anciens collègues. Mais pour cela, il faudra autre chose que des circulaires, des vœux pieux, des appels au bénévolat et des aggravations de service. Il faudra également beaucoup d'argent, beaucoup de volonté de la part des hautes autorités et, avant tout, une prise de conscience des réalités, un bouleversement des idées de base, un retour à des principes fondamentaux sains et réalistes, et à celui-ci en particulier : comme tous les êtres humains, les enfants ne sont pas égaux entre eux, ni dans leur environnement familial et culturel, ni sur le plan des qualités physiques, ni sur le plan des qualités intellectuelles... Je n'ai pas cessé, pour ma part, de protester contre cette uniformisation de l'enseignement qui pénalise les plus doués sans pour autant sauver les plus démunis... Mais il semble bien que nombre de gens, dans les syndicats professionnels comme dans les partis politiques et dans la haute Administration, ont mis volontairement ou non des lunettes noires bien épaisses qui ne laissent filtrer aucune lumière, et surtout pas ces vérités qui crèvent les yeux... »

Vivant dans un quartier difficile, victime de plusieurs cambriolages, il était devenu un membre influent d'une association de quartier essayant d'améliorer la situation. Un « vieux » qui ne faisait pas d'amalgame et qui n'était pas tombé, malgré tout, dans la paranoïa et le racisme ambiant.

En 1993 et 1994, il fut de toutes les grèves en faveur de la laïcité et contre le financement public des écoles privées et nous suivit à la manif monstre de Paris du 16 janvier 1994. Voyage en train de nuit après un repas succulent mitonné par Yvette (avec notamment une langue de bœuf aux câpres que certains mirent longtemps à digérer) et arrivée dans la capitale où, malgré la flotte, les heures de « sur place » du fait de la lenteur provoquée par l'afflux de plus d'un million de personnes, il était heureux comme un pape, enchanté de voir qu'il y avait plein de jeunes et ajoutant : « j'ai vu ça, je peux mourir maintenant ! ».

Il ne supportait pas non plus les fautes d'orthographe et les traquait sans pitié. Tout ce qui lui tombait sous la main, sous les yeux, pardon ! était sujet à une analyse approfondie qui ne nuisait pas à sa rapidité de lecture et à des corrections immédiates annotées en rouge dans les marges. Lorsqu'il y avait vraiment trop de fautes, il prenait le soin d'écrire à l'auteur ou à l'éditeur pour leur signaler leur manque de rigueur et de respect du lecteur ce qui allait inévitablement amener à un affaiblissement de la langue française, langue qu'il chérissait plus que tout. Cela ne l'empêchait pas d'affectionner la langue anglaise puisqu'il en avait fait son métier (ses nombreux élèves s'en souviennent certainement encore...) et sa langue originelle, l'occitan qu'il parlait et écrivait couramment. Autant que pour le Français, il ne tolérait pas d'écarts grammaticaux ou orthographiques pour ces deux autres langues.

Ses corrections pour le bulletin Spélé Aude étaient minutieuses et intransigeantes, nous faisant passer de nombreuses heures supplémentaires devant le clavier de l'ordinateur. Après une première correction de l'article brut, il reprenait l'article mis en page et le relisait, trouvant encore de nombreuses fautes qu'il fallait arranger. Les articles étaient souvent repris une troisième fois et il en trouvait encore. Il pinaillait sur tout (style, accent, ponctuation) mais le résultat était presque impeccable. Presque est bien le mot car une fois imprimé, il reprenait le bulletin pour une lecture complète, le stylo rouge à portée de main et parvenait, à son grand dam, à repérer quelques fautes qui avaient échappé à toutes les lectures. Il râlait même, si leur nombre était trop important à son goût. Il ne faisait pas tout ça pour nous embêter ou contrarier les auteurs mais pour que Spélé Aude soit irréprochable afin de montrer la qualité de la spéléologie audoise.

Il était quand même très fier du résultat, certifié par les commentaires élogieux des lecteurs.

Réflexions sur les valeurs de la Spéléologie

Antoine Cau a souvent exprimé ses sentiments à l'égard de cette activité inclassable, véritable passion intellectuelle (plus que physique) pour lui, qu'était la spéléologie. Dans les extraits suivants, il nous dévoile sa vision, sa conception de la spéléologie et les émotions fortes qu'elle procure.

Extraits du discours de la distribution des prix au Collège Blaise d'Auriol - juillet 1951 : « Tout le monde, je crois, se passionne pour l'Aventure au sens le plus large du terme, l'aventure plus ou moins vraisemblable des romans d'imagination ou l'aventure vécue des récits de voyages et d'exploration. Chacun porte en soi ce besoin d'évasion et de découverte, et c'est en pensant à ce goût que je partage aussi dans un domaine particulier que j'ai choisi mon sujet, un sujet qui devient de plus en plus « à la mode » et qui est en somme le thème du « Voyage au centre de la Terre » de Jules Verne, la Spéléologie... »

Il déclare un brin modeste, mais en laissant transparaître ce qui l'attire le plus dans ce milieu hostile : « Pour vous rassurer, je tiens à déclarer que je suis simplement un amateur et que seul le plaisir de pénétrer là où personne n'est jamais allé m'attire dans le monde souterrain... »

Il continue en dévoilant un peu plus une passion communicative : « J'espère au moins avoir réussi à vous intéresser et à vous faire partager un moment mon propre enthousiasme, et je ne peux que vous souhaiter de passer sous terre des heures aussi passionnantes que celles que j'y ai déjà vécues et que je compte bien y vivre longtemps encore. »

Comparant les visites de grottes touristiques à la véritable spéléologie, il nous livre un petit bijou littéraire sur la fièvre de la première : « Mais quel intérêt peuvent avoir de telles visites avec ascenseurs, petits trains et éclairage multicolore comparé à l'exaltation, aux sentiments mêlés de peur et d'espoir de celui qui, le premier, se faufile dans une ouverture ténébreuse, sa lampe à la main, ou qui descend casqué et le cœur battant dans un gouffre inconnu, et qui voit se perdre au-dessous de lui dans le vide et le noir les barreaux ondulants d'une mince échelle en câble d'acier ? Comment vous faire comprendre l'état d'esprit de l'explorateur d'avant-garde qui, arrivé au fond d'une salle ou à un relais, furette fiévreusement à droite et à gauche et hurle soudain aux autres attentifs, d'une voix chevrotante de joie, ces deux mots magiques : " Ça continue ! " ? »

« J'ai ressenti moi-même bien souvent ces émotions indescriptibles de l'Aventure depuis le jour où j'ai visité ma première grotte en compagnie de trois camarades novices comme moi, avec un matériel réduit à sa plus simple expression, puisqu'il se composait en tout et pour tout d'une méchante corde de 15 mètres et de quatre bouts de bougie empruntés au curé du village. »

Rôle au sein du CDS Aude

Antoine et son club avaient un peu rechigné au début et étaient rentrés au CDS à reculons, il en devint pourtant rapidement une pièce maîtresse et un de ses plus fidèles serviteurs. C'est lui qui lui donne des bases saines en conduisant le secrétariat (d'une main de fer) pendant les six premières années du CDS, l'animant de sa passion, de ses exigences, de sa rigueur mais aussi de sa tolérance et d'une conception presque utopique de la vie en association et des rapports humains comme le montrent ces extraits.

Rapport d'activités CDS 1974 : « Depuis longtemps, il y a dans certains domaines des difficultés indiscutables. Je regrette de devoir trop souvent critiquer les mêmes points, mais je tiens à dire nettement que je n'y mets aucune animosité, mon seul but est d'exposer simplement ce qui ne va pas, de tâcher d'en découvrir les causes et de proposer des remèdes. »

Un esprit de dialogue constructif l'anime : « Néanmoins, je voudrais maintenant revenir sur les deux premiers points de mon exposé où j'ai beaucoup critiqué. A mon sens, en effet, il est trop facile de dénigrer, un certain Destouches, et non Boileau, l'a dit bien avant moi. On n'a le droit de critiquer que si l'on apporte en échange des propositions constructives. Voici les miennes, elles valent ce qu'elles valent, vous en ferez ce que vous jugerez bon. »

Voilà comment il considère le bénévolat au service de la spéléologie : « Ici comme ailleurs, tout n'est qu'une affaire de bonne volonté. Certes, il est de plus en plus difficile, dans ce monde moderne égoïste et déboussolé, de trouver en soi non seulement le temps, mais surtout le désir de s'occuper bénévolement d'autre chose que de soi-même. Et pourtant, il faut s'y efforcer, si l'on veut que ce qu'on aime survive. »

La création du CDS 11 ne s'est pas faite dans l'enthousiasme. Elle est proposée en haut lieu, pour donner une assise nationale et représentative à la nouvelle FFS, alors toute jeune fédération, par Paul Dubois (délégué régional Languedoc-Roussillon). Dès le départ, pour des raisons de procédure, mais en réalité pour raisons financières, la SSP refuse de participer à une première réunion constitutive. Finalement, grâce à l'intervention de G. Jauzion (Midi-Pyrénées), une réunion préparatoire a lieu, réunissant tous les clubs audois à Narbonne. Le CDS Aude naît officiellement le 23 novembre 1969. « Après une gestation longue et pénible, l'accouchement s'accomplit sans douleur, certes, mais sans débordement de joie non plus. »

En effet, un détail « sordide » explique le peu d'enthousiasme du SCA et de la SSP, ceux-ci sont les deux seuls clubs qui recevaient alors une subvention du Conseil Général, et maintenant il va falloir partager en six le maigre pactole...

« C'est donc contraints et forcés que les clubs s'étaient résignés à ce mariage de raison, et rares furent au début ceux qui appliquèrent à la lettre le vieux principe chrétien : « Aimez-vous les uns les autres ». Au début, le Comité n'avait qu'une existence administrative et les rares moments d'animation provenaient, justement, des discussions attribuant la répartition de la fameuse subvention. On peut dire qu'alors la « conversation » s'animait. Chacun regardait tous les autres en chien de faïence et réciproquement ; beaucoup se souviennent des prises de bec homériques, des attaques frontales et des sous-entendus assassins. Aujourd'hui (en 1979...), marchandages et accrochages ont disparu de nos réunions, ce problème épineux est désormais régi par un « modus vivendi » qui consiste à partager la manne en parts égales et tout le monde se plie à ce système malgré ses imperfections, ce qui prouve que le Comité a atteint sur ce point une maturité louable. »

Dans cet autre extrait, il atteint presque le lyrisme pour expliquer l'évolution des mentalités des spéléos et montrer les progrès accomplis et les bénéfices mutuels que chacun pouvait en retirer : « Pendant assez longtemps, les seuls contacts sur le terrain entre spéléos audois se sont confinés aux stages et aux exercices secours. Cependant, s'ajoutant aux réunions et assemblées traditionnelles, ces sorties donnent d'autres occasions de voir les mêmes têtes dans des circonstances différentes ; on commence ainsi à mieux se connaître et on s'aperçoit qu'en définitive Machin ou Chose n'est pas si moche qu'on le croyait, et même qu'au fond, il n'est pas mal du tout, comme l'immense majorité de ses collègues. Je suis certain que l'influence de ces rencontres a été capitale dans l'évolution de l'état d'esprit et du comportement des membres du Comité. C'est en vivant côte à côte pendant quelques jours dans un stage, c'est en peinant côte à côte pour porter un brancard dans des étroitures ou le hisser dans un puits, c'est en oeuvrant ensemble que les responsables apprennent à s'apprécier, puis à s'estimer et donnent l'exemple aux membres de leurs clubs respectifs. L'autre gars n'est plus en face, il est passé à côté; il a cessé d'être un rival et dès lors, il n'est plus loin de devenir un ami. »

Il s'inscrit également dans la lignée des mouvements sociaux de l'époque en insistant sur le côté rassembleur et communautaire des associations spéléologiques (n'oublions pas non plus qu'il avait été scout !) en affirmant : « Même s'il n'avait rien d'autre à son actif, ce qui est loin d'être le cas, le Comité aurait largement justifié sa fondation par une seule de ses réalisations, qui ne porte pas de nom, qui ne peut ni se mesurer ni se chiffrer : il a rassemblé des spéléos des quatre coins de l'Aude et aussi de l'Ariège, de toutes les classes sociales, de tous les horizons, des gars qui ne se connaissaient pas ou qui, pire encore, se jalousaient, et il a fait d'eux des copains, des amis. »

Sa vision universelle de la spéléo, assez rare à ce moment là, transparaît dans cet autre extrait. Il privilégiait le résultat et la coopération plutôt que l'instinct de propriété : « Que la découverte d'une cavité soit due à tel spéléo ou tel club plutôt qu'à d'autres n'a, je crois, qu'une importance secondaire ; l'essentiel à mes yeux est d'explorer ensemble et de favoriser ainsi l'épanouissement des sentiments de solidarité, de respect réciproque et d'amitié qui naissent d'une œuvre réalisée en commun et profitable à tous. »

Antoine Cau revient sur ce thème lors de l'AG de la SSP de 1987, alors que de graves tensions secouent le CDS Aude : « J'aimerais que, oubliant divergences, oppositions, affrontements mineurs somme toute assez naturels au sein d'une communauté, chacun d'entre nous fasse, aux moments de tension, l'effort nécessaire pour maintenir avant tout ce climat d'amitié entre nous, et cette politique de camaraderie, de collaboration et de tolérance à l'extérieur. »

Après une période de semi retraite au niveau fédéral, il reprend intensément du service dans les années 80 pour impulser des réalisations importantes. N'étant plus en activité professionnelle, il va consacrer beaucoup de son temps libre à promouvoir la spéléologie audoise et à dynamiser nos relations avec les pouvoirs publics. Il sera à la base des actions du CDS en faveur de l'environnement qui déboucheront sur les actions annuelles dans le cadre des Journées Nationales de l'Environnement auxquelles le CDS participe tous les ans depuis 1987.

Montrer la motivation, le sérieux et l'efficacité des spéléos audois sera son but et aboutira à la valorisation de notre activité si particulière et, par ricochet, à la mise en place d'autres actions essentielles dont le bulletin Spélé Aude est le fleuron.

Il en sera le créateur principal et le plus enthousiaste promoteur et supporteur. Dans ce domaine aussi, il fit preuve de beaucoup de rigueur et de motivation et, voulant toujours améliorer la publication, signa quelques éditoriaux acerbes qui n'avaient pour but que de motiver davantage les auteurs et les clubs mais qui ne furent pas bien compris, créant hélas des malentendus et des oppositions encore vivaces aujourd'hui.

Souhaitons que les tensions s'apaisent et que tous comprennent qu'Antoine ne recherchait que le bien commun et non les critiques personnelles. Peut-être avec s'y prenait-il mal ? Mais personne n'est parfait et ses petits défauts ne sont rien comparés à ce qu'il a accompli pour tous.

Tous les spéléos audois peuvent lui adresser un grand MERCI.

Bibliographie

Lorsque je me suis attaqué au recensement des articles publiés par Antoine Cau, je ne pensais pas en trouver autant. C'est, sans contestation possible, l'auteur le plus prolixe de la spéléologie audoise et il le restera très longtemps encore, il a en effet publié 119 articles dans différentes revues. La palme revient bien sûr à l'Echo des Ténèbres qui, à lui seul, a hébergé 95 ! articles d'Antoine Cau, soit une moyenne de plus de 5 articles par numéro. Quand on sait que la parution était semestrielle cela fait 10 à 11 articles par an ! Quel rythme ! D'autre part, Toinot a également écrit de très nombreux articles pour la presse locale, articles relatant les activités de la SSP ou du CDS (comptes-rendus d'Assemblées Générales, d'explorations, de camps, etc.), leur dénombrement est quasiment impossible à faire mais il doit y en avoir là aussi plus d'une centaine.

Ajoutons à cela un réel talent littéraire qui faisait de la lecture de ses articles des moments de plaisir véritable, très appréciés de tous les lecteurs. Cela nous fait regretter qu'Antoine n'ait jamais pris, ou trouvé ? le temps d'écrire un ouvrage complet sur la spéléologie. Le résultat aurait été passionnant.

Cette abondance de publications répond à deux grandes aspirations d'Antoine Cau : faire connaître et apprécier les travaux des spéléos audois et transmettre aux nouvelles générations l'héritage des pionniers de la spéléo et la passion pour cette activité. On peut dire qu'il a parfaitement atteint ses buts et qu'il nous lègue un bien beau patrimoine.

Christophe BES

Paru dans Spélé Oc

Paru dans Spélé Aude

Paru dans L'Echo des Ténèbres

Paru dans Spelunca

Témoignages

L'expression populaire qui affirme que l'« on garde toujours les meilleurs morceaux pour la fin » va se vérifier pour clore ce long (mais amplement mérité) hommage à notre cher Antoine CAU.

Racontés par ses proches, ses intimes, ses compagnons, ses propres filles même, vous allez découvrir ce que les mots ont quelquefois du mal à exprimer : son caractère, ses habitudes, ses petits défauts, son humanité, ses grandes qualités ; le tout exprimé avec beaucoup de sincérité, de vérité et d'émotion par ceux qui ont été à ses côtés.

Merci à vous tous et toutes qui nous faites revivre ces tranches de passé empreintes de nostalgie et de bonheur partagés.

Souvenirs de vacances à Sainte Colombe (Martine Colné)

Du plus loin que je me souvienne, à la maison, grandes vacances ont toujours été synonymes de séjour à Sainte Colombe sur l'Hers. Dès que retentissait la sonnerie de fin des cours, hop ! , tout le monde et les bagages dans la voiture et en route ! Nous laissions aux autres les vacances à la mer, la bronzette sur la plage et le sable dans les sandwiches pour l'air frais des Pyrénées Ariégeoises.

Papa partageait son temps entre la spéléo, les balades en montagne, le camping pour ne citer que quelques unes de ses multiples activités. Forcément, nous suivions le mouvement et c'est ainsi que j'ai passé mon enfance à parcourir les vallées et les forêts de la région.

Quand arrivait la fin juillet, un de nos grands plaisirs était d'aller cueillir des fraises des bois dont nous nous régalions sans modération. Un plaisir certes, mais qui ne laissait rien à l'improvisation ! Nous partions en début d'après-midi, à la rage du soleil, vers un lieu mûrement choisi par mon père en fonction de la météo des jours précédents, l'altitude, l'exposition au soleil, doigt mouillé (euh, non là je galège ...) etc.

Une fois sur place, chacun sa petite boîte et en avant pour la cueillette ! Notre sérieux et notre concentration faisait l'admiration des quelques touristes présents qui ne pouvaient pas rivaliser avec nous, les pauvres. Je dois reconnaître qu'une certaine auto-consommation faisait parfois baisser le rendement mais il fallait bien encourager le brave travailleur ! A la fin de la journée, rougeoyant sous l'effet des coups de soleil, nous contemplions, satisfaits, notre récolte et rentrions fourbus à Sainte-Colombe.

Une fois à la maison et, fidèle à son habitude, Papa prenait son cahier d'écolier et faisait un compte-rendu minutieux de la journée (horaires, poids de la récolte etc.). Je suis persuadée qu ‘il prenait autant de plaisir à cet exercice qu ‘à la journée proprement dite.

Ainsi s'écoulaient nos vacances et en dépit de leur simplicité, j'en garde toujours un souvenir ému : je crois bien que c'était ça le bonheur...

Hommage à un homme de cœur (Georges Rives)

J'ai ressenti avec beaucoup de tristesse la disparition d'Antoine CAU, qui pour moi restera toujours TOINOT. Les souvenirs qui nous liaient occuperont dans ma mémoire une place privilégiée. Sainte-Colombe sur l'Hers était notre point de ralliement, la spéléologie une passion commune. Bien que la vie m'ait éloigné à la fois du pays de mes ancêtres et des excursions souterraines, mes relations amicales avec Toinot sont demeurées intactes pendant plus d'un demi-siècle. Mon épouse et moi-même avons toujours apprécié la cordialité de l'accueil d'Antoine et d'Yvette CAU.

Parmi les évènements qui ont marqué nos sorties spéléo, je ne puis oublier l'incident qui s'est produit le 26 août 1949 alors que Toinot et moi-même nous trouvions seuls à quelques dizaines de mètres sous terre dans l'aven de la Grande Rassègue. Le récit de cette aventure a été donné cinquante ans plus tard, dans la revue Spélé Aude sous la signature TOIN'AN OC, le Vieux Cathare : Toinot réfugié sur un étroit palier; quelques mètres plus haut, un énorme rocher sur lequel je me trouve, qui glisse puis s'immobilise mais coince l'échelle ; la difficile remontée de Toinot ; et enfin nos retrouvailles troublées par le glissement d'une importante dalle verticale qui s'abat dans notre direction. Que d'émotions partagées !

Notre première campagne au gouffre des Corbeaux, la création de la Société Spéléologique du Plantaurel, la minutieuse préparation du matériel à l'usine de Monsieur GRAMONT, les expéditions dans la forêt de Bélesta constituent autant de circonstances au cours desquelles j'ai pu apprécier les qualités d'Antoine CAU et notamment son esprit d'organisation, sa bonne humeur, sa loyauté et sa rigueur morale.

Antoine Cau (1925 - 2001) - Albert Hernandez (5 avril 2002)

Fondateur d'un club de spéléologie en 1947 dans l'arrière pays audois à Sainte Colombe sur l'Hers, situé au pied de la montagne du Plantaurel pour être précis. Le nom ne fut pas bien difficile à trouver : la Société Spéléologique du Plantaurel était née ; c'est en fait l'aboutissement des pérégrinations souterraines d'une bande d'ados comme on dirait aujourd'hui, qui avait commencé dès 1944.

La passion avait pris le pas sur la simple visite des grottes de ce petit coin de France. Il y avait tant à faire : inventorier les cavernes déjà existantes, relever les plans, poursuivre les explorations parfois avec éclat et même retombées médiatiques (Grotte de l'Homme Mort, Gouffre des Corbeaux), rechercher de nouvelles cavités ; bien sûr, Martel et de Joly sont passés par là mais sans s'incruster au pays. Très vite, il se rend compte que l'on ne sait pas grand chose sur l'énigmatique fontaine intermittente de Fontestorbes située non loin de Bélésta et qui vient pratiquement doubler le débit de l'Hers par sa rive droite dès sa confluence. Désormais, il faudrait compter sur la S.S.P. pour répertorier et contribuer à faire connaître le patrimoine souterrain du plateau de Sault.

On ne peut parler d'Antoine sans nommer Monsieur Gramont (1900-1986), « Il avait découvert la spéléo à l'âge de 47 ans », tellement les destins de ces deux grandes figures de la spéléologie Audoise sont liés. En 1950, après trois ans de fonctionnement et diverses explorations (les Rassègues, le Trou du Vent du Pédrou, la Fontaine, las Goffias, le Rec des Agréous (première campagne le 10 août 1949) etc.

Le club est officiellement fondé ; Monsieur Gramont en devient aussitôt le premier président et Antoine secrétaire et trésorier. Ce tandem va fonctionner durant plusieurs décennies ; Antoine accomplit dans l'ombre bienveillante de Monsieur Gramont tout le travail obscur qui consiste à répertorier, rédiger, archiver, relancer ses collègues et exiger que chaque sortie fasse l'objet d'un rapport écrit, non pas dans le but de publier un roman et d'en toucher des droits d'auteur, mais bien au contraire. Sa rigueur et son intransigeance en la matière auront un but beaucoup plus louable, même si parfois certains ne l'ont pas toujours compris : léguer aux générations futures de spéléologues un travail exploitable dans un but avoué de faire progresser la connaissance et d'enrichir le patrimoine souterrain

Monsieur Gramont, président inamovible et mécène du club, comme aimait le rappeler Antoine, pose les bases d'une large collaboration avec les groupes voisins et très tôt la S.S.P. abandonne l'idée pernicieuse de territoire, de limites, de domaines réservés, qui empoisonne encore de nos jours les rapports entre clubs. Antoine a énormément contribué à ce concept et en a fait une philosophie qu'il a su transmettre jusqu'à nos jours (voir Spélé Aude N°2. février1993).

Il consacrera pratiquement toute sa carrière de spéléologue à Fontestorbes et contribuera à sa renommée, même au-delà de nos frontières. Il rédige la première publication exclusivement consacrée à la Fontaine Intermittente de Fontestorbes en 1979. De 1956 à 1957 le Spéléo-club de l'Aude, la British Speleological Association et la Société Spéléologique de Plantaurel mènent campagne, comme on disait alors, au Trou du Vent des Caousous n°1. En deux ans, la cavité sera vidée partiellement du bouchon d'argile qui l'obstrue, l'accès à la rivière est enfin trouvé, de courte durée certes, mais ils mettent à jour un regard sur le formidable phénomène intermittent de Fontestorbes.

Il se consacre sans compter à son club et en 1968, il est un acteur dans la création du Comité Départemental de Spéléologie de l'Aude, il en devient secrétaire puis président jusqu'en 1992. Travailleur acharné, il dépense toute son énergie pour la reconnaissance de la Spéléologie Audoise. En 1975, il crée pour son club l'Etroiture, qui deviendra rapidement l'Echo des Ténèbres ; 17 bulletins, enfantés parfois dans la douleur, seront ainsi publiés jusqu'en 1985. Il reprend sa plume lorsque le bulletin départemental Spélé Aude voit le jour pour la première fois en 1992. Dans le n°2, il rend un vibrant hommage à l'homme qu'était Monsieur Gramont et qui a certainement le plus marqué sa vie. En 1991, il démissionne du club, « son club », la mort dans l'âme, car au fil des années, l'effectif ayant tellement changé, il avait l'impression d'être un étranger. Des divergences conceptuelles sur l'évolution de la spéléo, ce que doit être le contenu d'une publication, le manque de soutien presque unanime sont à l'origine de ce départ ; comme il l'a écrit lui-même : « Je sors par la petite porte, sans tambours ni trompettes, mais avec la conscience tranquille, avec la conviction d'avoir été utile à la S.S.P. durant 45 ans et d'avoir fidèlement mis en application une phrase de l'article 1 du règlement intérieur - chacun doit servir le club et non se servir de lui. »

Il rejoint le groupe du S.C.M. en 1992. Mais le ressort est cassé. Il mettra tout de même toute l'énergie qu'on lui connaissait au service de ce club et surtout à la publication départementale Spélé Aude dont il assurait la diffusion et la correction sans concessions jusqu'au n°10. Désormais la S.S.P., le C.D.S., et les spéléos audois doivent prendre leur destin en main et vivre dans le respect de la mémoire de ceux qui nous ont quittés. Merci Antoine, tu nous as tant donné.

La Société Spéléologique du Plantaurel adresse ses condoléances à la famille avec une pensée toute particulière pour Yvette, épouse modèle, et qui durant des années a porté la lourde responsabilité d'assurer l'intendance lors des camps d'été.

En spéléo avec Antoine (Marie Guérard)

Beaucoup de spéléos audois ne connaissent Antoine que par ses articles ou par ses interventions mémorables lors des réunions. Je fais partie de ceux qui ont eu la chance de partager avec lui d'autres expériences, sur (et sous) le terrain. A travers quelques anecdotes, je retrouve des souvenirs de ces moments...

La Mine (février 1989)

Il est passé beaucoup de monde, dans cette mine, pour essayer de rouvrir la galerie effondrée derrière laquelle se cache un des joyaux de la Montagne Noire. Antoine est là ce samedi de février, au milieu du groupe constitué de spéléos du SCM et du SCA, la figure noircie par les schistes bitumineux, qui s'échinent à remplir les gamates, les tirent en les faisant glisser sur des planches, puis les remontent dans une salle où sont déjà stockés des m3 de déblais qui témoignent des explorations précédentes

Eliane nous héberge pour la nuit à Lespinassière. Antoine, si respectueux de tout, est alors confronté aux forces vives de la spéléologie audoise, une poignée de jeunes qui se sont déjà assis aux meilleure places, contraignant sans le moindre scrupule notre ancien à rester debout. Et c'est nous, les "entre deux", qui devront les obliger à se pousser. Au coucher, même sketch : ces galopins ont réquisitionné les matelas sans en laisser un pour ses vieux os ; là aussi, c'est à nous d'y mettre bon ordre.

C'est qu'Antoine, s'il n'hésitait pas à pousser des coups de gueule, ne le faisait que pour ce qu'il estimait être le bien commun ; l'idée de le faire pour défendre son propre intérêt ne l'avait certainement même pas effleuré !

Aujourd'hui, ça va passer. On est deux qui arrivent de l'autre côté ; j'en suis, et pas franchement rassurée ; en effet, ça menace de s'écrouler de nouveau ; mais impossible de rebrousser chemin, ils sont tous agglutinés derrière... Et bien sûr, ça ne rate pas, tout s'effondre.

Si mon compagnon de galère prend ça avec une sérénité admirable, me racontant les sables mouvants et autres périls qu'il a affrontés en Amérique latine, je suis par contre passablement démoralisée. L'estocade, c'est toi, Antoine, qui me la porte : un tuyau avait été passé à travers les déblais pour faciliter un peu la circulation d'air dans la zone de travail. A travers ce tuyau, je t'entends tonitruer de ta voix bien reconnaissable qui roule les r : "c'est encore plus bouché que quand on a commencé hier matin !" Grand merci pour cette information, qui fait descendre mon moral à des profondeurs abyssales ! Heureusement tout finira bien, grâce à un déblayage frénétique cette fois par les deux côtés ; et après quelques péripéties dont un autre éboulement, un bidon acheminé là en deux morceaux et vissé sur place sécurise aujourd'hui le passage (mais un autre effondrement à l'entrée de la salle a depuis condamné l'accès à la grotte).

Le trou des Beautes (janvier 1990)

Ce trou, qui s'ouvre au bord de la route allant de Joucou à Rodome, est une exsurgence temporaire qui joue aussi le rôle de perte du fait du tracé d'un fossé qui y mène tout droit. Aussi toute la zone d'entrée est remplie par de la terre et des feuilles.

Echelonnés dans le trou, dans diverses positions le plus souvent inconfortables, nous creusons, remplissons et tirons une gamate, elle-même vidée sous l'entrée dans un seau, qu'Antoine remonte à l'extérieur. Il a passé l'âge de rester couché sur la terre humide, mais le rôle qu'il s'est dédié n'est guère plus enviable : les seaux sont bien lourds, il faut les hisser, puis traverser la route, pour déverser leur contenu sur la pente en dessous, quand il veut bien se décoller du fond. Et avec l'espoir de voir un peu le soleil, qui ne fait qu'une extrêmement brève apparition dans ces lieux encaissés, quelques dizaines de minutes par jour en hiver...

Et bien sûr, que fait Antoine entre deux seaux ? Il les comptabilise ; ce qui n'étonnera pas ceux qui le connaissaient ; ainsi nous saurons avec une précision inimitable combien de seaux auront été extraits, et Dieu sait qu'il y en eut, avant de pouvoir faire la première (remarque : on ne vous conseille pas l'exploration ; le fond de ce trou est devenu pour nous un symbole de galère, une référence.)

La Font de Dotz (juillet 1990)

Dans un article consacré à cette exploration, qui commença par des pompages, nous avons raconté comment un orage nous a obligés à plier armes et bagages (plus exactement pompes, lignes et contacteurs) en pleine nuit...

Ne trouvant pas le sommeil, j'avais réalisé que le ruisseau coulait près des tentes, alors que nous avions pompé un siphon de huit mètres de dénivelée (tu as vu, Antoine, j'ai bien écrit dénivelée).

Un tour à l'entrée de la grotte pour constater que l'eau n'arrivait pas encore de la cavité elle-même, mais d'un ruisseau de surface dont une partie s'engouffrait dans le siphon, et je réveille Stoche et Serge qui foncent récupérer le matériel en extrême urgence, pendant que je plie ce qui est le plus près de la surface. Antoine, qui a le sommeil léger, a entendu nos conciliabules, et me rejoint, mettant toute son énergie à m'aider à limiter l'afflux d'eau dans le trou tant que nos copains ne sont pas sortis : détourner autant que possible le courant en faisant des barrages de cailloux, mais aussi disposer les caisses bouffe inclinées sous la cascade qui dévale du plafond pour l'obliger à emprunter le lit du ruisseau... dans le bon sens. Bonjour l'ambiance ! Si Serge affectionne "les éléments déchaînés", on peut dire que nous deux, qui nous escrimons dehors, nous nous en serions bien passé...

Encore une fois, tout finit bien, et l'exploration a pu continuer plus tard sans repasser par le siphon, après une désobstruction faite grâce à la topographie précise de Serge et Stoche. Ce qui leur avait valu ton admiration.

La Mine-bis (1992)

La grotte a été abandonnée, au profit de la recherche de trous souffleurs indiqués par les mineurs dans les anciennes galeries maintenant inaccessibles. Après pas mal de séances d'agrandissement, ces galeries sont atteintes ; mais à quelques centaines de mètres, on bute sur une zone effondrée, avec une roche très délitée, et une boue collante omniprésente.

Ce terminus (qui l'est resté) nous a valu de mettre au point une discipline qui mériterait de devenir olympique : le lancé de gamate assis. Gamate pleine, s'entend... Une après-midi entière à deux mètres d'Antoine, à se passer la gamate remplie par nos acolytes qui oeuvrent sous un arsenal d'épées de Damoclès. La petite salle a un plafond fielleux (surtout ne pas le regarder) trop bas pour être debout, alors c'est forcément assis qu'il faut récupérer la gamate sous la trémie où s'agitent inconsidérément Stoche et Serge. La petite salle étant remontante, il faut arriver à lancer la gamate à son voisin ; plus haut, un dernier larron tentera le démoulage de la chose gluante qui refuse de se désolidariser du récipient.

Tu parles de belles heures exaltantes, partagées avec toi ! Cela prouve en tout cas qu'il n'y a pas d'âge pour rêver à des découvertes (la mine pourrait donner accès au mythique réseau menant de Citou à Cabrespine), et se lancer dans des travaux d'Hercule pour essayer de les atteindre.

La Mine-ter (février 1993)

Le fond évoqué plus haut a lui aussi été abandonné ; les topographes ont décidé de tirer le double décamètre tout au long des galeries. A deux, ils font peu de bruit et du coup la mine leur parle : là, au-dessus d'un éboulement partiel du plafond, ils entendent quelque chose qui ressemble à de l'air.

Et c'est parti pour une exploration émaillée de nombreuses difficultés, et en particulier les travaux au plafond de la galerie, constitué d'un amas à la stabilité toute relative de blocs gadouilleux. Après de nombreuses péripéties dont certaines me font encore frémir rétrospectivement, une suite est découverte, aboutissant sur un puits, et une continuation à désobstruer, avec de l'air pour nous guider.

On est tellement contents qu'on croit que ça y est, on va trouver "Le" réseau ; la suite, même si elle nous a fait descendre à -100 prouvera que non, n'en déplaise à Serge qui veut y croire encore et essaye sporadiquement de réactiver l'intérêt du club sur cette drôle de galère...

Bref, on est tellement contents qu'on veut absolument partager cette première avec Antoine. Ce jour là, plus peut-être pour nous faire plaisir que par envie de replonger sous terre, il va arpenter les galeries de la mine, grimper jusqu'au lieu-dit "la Titanite", passer les étroitures à l'intérieur d'une trémie pas franchement stabilisée, et descendre un puits jusqu'à la Coucourde, long méandre alors encore impénétrable. Pour l'occasion, l'équipement a été doublé par une échelle : Antoine utilise le descendeur, mais préfère s'en tenir à la bonne vieille échelle pour remonter. Et son âge ne l'empêche pas de s'en tirer très bien, même si cela fait un bail qu'il ne s'est pas livré à ce genre d'exercice.

Un mot au passage pour exprimer toute mon admiration pour ces vétérans qui ont exploré des dizaines de puits, quelquefois très profonds, au moyen de ces échelles si incommodes : il fallait être solide ! Ca m'étonnerait que je sois capable, à près de 70 ans, d'utiliser encore ces instruments barbares.

Mais l'âge rattrape tout le monde, même Antoine: l'équipe s'étant rapatriée chez moi, son premier réflexe fut d'appeler sa chère Yvette, pour la rassurer bien sûr, mais aussi pour lui demander de préparer les onguents !

La Madourneille (1995)

Cette exsurgence, pompée à plusieurs reprises, nous a valu quelques déboires, mais aussi quelques belles réussites. La Mairie et le service des eaux du Conseil Général s'intéressant de plus en plus à la source, il nous est demandé de construire un seuil calibré à l'entrée de la grotte, afin de pouvoir y installer des appareils de mesure.

Ce genre de chantier, c'est du ressort d'Antoine ; s'il ne nous suit plus dans les trous, il est toujours partant pour donner un coup de main en surface. Et, dans son habituel "bleu" de travail marron, il charrie les moellons. Il m'épate, parce qu'avec mes 30 ans de moins, j'ai le dos cassé en moins de 3 moellons, alors qu'il s'évertue toujours. Certes, le pied n'est plus si sûr, puisqu'à un moment il perd l'équilibre, ce qui lui vaut d'être rattrapé au vol par Bernard (ouf !).

Et il s'extasie devant la savante installation destinée à acheminer le béton, une tyrolienne inclinée qui traverse la végétation. Technique qu'il n'avait pas eu l'occasion d'utiliser de son temps, et qu'il découvre dans un contexte inhabituel.


Je pourrais en rajouter des pages : qu'il s'agisse du pompage du Parégot, où il était si mortifié d'avoir rempli le groupe avec de l'essence au lieu de gas-oil (ou était-ce le contraire ?), des actions de dépollution du CDS, auxquelles il participait systématiquement. A Vidorles, en particulier : cet aven, qu'il avait exploré et topographié autrefois, lui valut le jour de la dépollution une belle surprise, puisque quelques acrobates dépollueurs ont à cette occasion débusqué deux départs inconnus, dont un donnant sur un superbe puits. Il en avait été d'autant plus heureux qu'il s'agissait d'une action inter club, et il y avait vu comme un espoir de meilleure entente entre tous... Douce illusion.

Et bien sûr, il manque maintenant quelque chose. Qui va corriger les lignes qui précédent ? Qui va relever les fautes d'orthographes, les coquilles ou les tournures boiteuses ? Tu sais, Antoine, pour ça comme pour bien d'autres choses, on n'a pas fini de te regretter !

Antoine CAU, activités extra-spéléologiques (Guy Palmade, 07/09/2001)

Dans une revue consacrée à la spéléologie, est-il permis d'aborder d'autres sujets ? Que Monsieur le rédacteur en chef me pardonne, je vais le faire avant d'avoir obtenu son autorisation, ne doutant pas un instant qu'il me l'accorderait volontiers, puisqu'il s'agit d'une bonne cause, voire d'une cause sacrée : rendre l'hommage qui lui revient à Antoine Cau, mon ami, mon grand frère...

Mais, me direz-vous, parler d'Antoine, n'est ce pas parler de spéléologie alors qu'il a consacré à cette activité l'essentiel de ses moments de liberté ? Et bien non, une autre discipline sportive lui a tenu à cœur, pendant une bonne vingtaine d'années, je veux parler de la pêche.

Au temps heureux où une rivière digne de ce nom traversait notre village de Ste-Colombe, nous avons commencé à y pratiquer la pêche à la truite, à la "chaussée" d'abord, à "l'île" puis en aval du village ; déjà Toinot manifestait dans cette activité, pour moi un aimable passe-temps, les qualités qu'on lui a connues par ailleurs, de sérieux, d'organisation et d'opiniâtreté et contre lesquelles j'ai souvent pesté, lassé de rester bredouille mais sans entamer la détermination de mon ami, dont je dois dire que la suite des événements lui donnait raison puisque son panier finissait par se garnir alors que le fond du mien restait visible .

Le poisson se raréfiant, nous avons dû empiéter sur les territoires de Chalabre où l'eau de l'Hers était plus abondante et où se trouvait, sous les pierres de la rivière, un appât miraculeux qui nous assurait des pêches de la même veine, j'ai nommé la "bête noire". Faire de cette larve une provision suffisante était tout un cérémonial : pendant que je tenais grand ouvert, au ras de l'eau, un filet à mailles fines, Toinot, en amont de moi, soulevait et remuait les pierres ; les bons jours, en quelques minutes, notre nasse était pleine ... et notre succès pratiquement assuré.

Mais tout cela n'était qu'aimable plaisanterie car, une fois l'an, se tenait ce que nous appelions le camp de pêche : en Juillet, au début du mois d'août au plus tard, nous partions en petit groupe de 4 ou 5 personnes, et pour une semaine au moins, pratiquer la pêche en montagne, dans les lacs et ruisseaux de la Haute-Ariège ; les préparatifs n'étaient pas la partie la moins importante : il fallait procéder aux achats, répartir la marchandise dans les sacs tout en essayant de se tenir légers, 30 à 35 kg quand même, car nous ne comptions ni sur les truites pour nous nourrir ni sur la présence d'un éventuel refuge, en général extrêmement délabré, pour nous abriter ; c'est ainsi qu'au jour dit, dès potron-minet, nous quittions le village pour nous rendre en bas du sentier qui devait nous mener à En Beys, ou à Bassiès, ou à Naguilles, et commencer, chargés comme des mulets, et avant le lever du soleil, une ascension que nous terminions, au moins les traînards, dont j'étais, en début d'après-midi ;Toinot, l' infatigable, arrivé depuis un bon moment, venait gentiment m'aider à franchir les derniers mètres et, dès le lendemain, alors que nous étions encore fourbus, établissait des projets pour grimper sur la plupart des sommets qui nous environnaient ; ainsi a-t-il commencé ses randonnées en montagne qui ont fini par prendre le pas sur son amour de la pêche, le refuge, jamais loin des 2000 m, servant de camp de base et lui (nous, car il réussissait à nous entraîner) permettant d'atteindre des altitudes difficilement envisageables en partant de la vallée. Ce jour-là ...

Oui, ce jour-là est particulier : pourtant, comme à l'accoutumée, les sacs sont prêts depuis la veille, les appâts, vers et asticots, dans un petit sac que nous mouillerons de temps. Nous nous sommes couchés plus tôt en prévision de ce départ matinal, bref tout est comme d'habitude, mais ce jour là est vraiment à part : il est 2 heures du matin, peut-être 3, Toinot est venu me chercher puisque nous partons dans sa voiture, il rentre dans la salle à manger et nous trouve, mes parents et moi, les yeux rivés sur le poste de télévision : en ce 21 juillet 1969 se déroule l'événement le plus important de l'histoire de l'Humanité : le module est posé, la porte va s'ouvrir, un homme va descendre et son pied toucher la lune ; que va-t-il se passer alors ? Nous sommes là, ne sachant pas trop quelle attitude adopter, pouvons-nous partir pour 10 jours à En Beys sans savoir ? Le temps s'écoule, le module est immobile, la porte ne s'ouvre toujours pas... après un très long moment, une heure au moins, nous décidons de partir ; est-il utile de rappeler qu'en ce temps-là les téléphones mobiles n'existaient pas et comme nous n'étions pas des gens à nous embarrasser d'un poste à transistors, c'est à notre retour que nous avons appris l'incroyable nouvelle. Mais que de fois, au bord du lac, n'avons-nous pas évoqué le sort de ces hommes et, chaque soir, regardé la lune en pensant à eux ; qu'étaient-ils devenus, étaient-ils seulement encore en vie ?

Nous voilà bien loin de la spéléologie me direz-vous...est-ce si sûr ? Le goût de l'exploration que Mr Gramont et Toinot avaient en eux et qu'ils nous avaient transmis, ne le retrouvions-nous pas, à une autre échelle bien entendu, dans cette immense aventure ?

Au fait, avions-nous fait bonne pêche ? Je n'en sais plus rien, il est probable que oui et que nous avions escaladé quelques sommets et que nous avions vécu quelques jours merveilleux dont notre amitié allait se trouver encore renforcée pour ne jamais se démentir;

Ai-je vécu une autre vie ? Mr Gramont, Toinot, Yvette, Max, Jacques et quelques autres, que d'aventures en commun, dont Toinot était le dénominateur du même nom, la plaque tournante, l'élément fédérateur et indispensable ; qu'il s'agisse de spéléologie, de pêche, de montagne ou de plaisirs plus simples comme l'étude d'un itinéraire sur une carte, tout passait par lui car la sûreté de son jugement ne se discutait pas plus que celle de son pas de montagnard.

A la tristesse de l'avoir perdu, succédera, avec le temps, un sentiment de privilège, celui d'avoir bénéficié de son exemple, car il nous a marqués de façon indélébile, et d'avoir su capter et conserver son amitié.

Toinot - Que de souvenirs inoubliables - (Max Gramont)

Toinot nous a quittés il y a déjà neuf mois, laissant derrière lui un vide énorme. Il n'est pas possible d'oublier ce cher compagnon avec qui, durant les années 45 - 50, années inoubliables de notre jeunesse, nous avions créés en 1947 dans ce petit village de l'Aude - Sainte Colombe sur l'Hers - situé au pied du Plantaurel, la S. S. P. (Société Spéléologique du Plantaurel). Celle-ci fut d'ailleurs précédée par la création en 1946 d'une "Troupe d'Eclaireurs", ce qui fut pour nous l'occasion d'avoir un premier contact direct avec la spéléologie. C'était la visite de la Grotte de L'Homme Mort, grotte située à la lisière nord de la forêt de Ste colombe, trois à quatre kilomètres au nord du village de Rivel.

Cette première visite qui nous avait profondément passionné fut, pour Toinot et ses copains, l'occasion d'aller explorer le Gouffre des Corbeaux situé dans la forêt de Bélesta, visite pour laquelle nous aurions beaucoup de choses à raconter... Ces deux premiers contacts avec la spéléologie nous amenèrent à créer le Spéléo Club de Ste colombe (6 copains et mon père Georges GRAMONT) qui devait en novembre 1950 la S.S.P. (Société Spéléologique du Plantaurel), ce qui permit l'élaboration et la diffusion de L'Echo des Ténèbres.

Il y aurait, bien sûr, une multitude d'aventures à raconter sur ce que fut pour nous la découverte de la spéléologie avec l'exploration du Rec des Agreus, de la grotte de l'Herm, du Gouffre des Oeillets, du Trou du Vent du Caousous, du Trou des Blaireaux est bien sûr de nombreuses autres grottes, sans oublier la Fontaine de Fontestorbes et de son siphon.

A cette époque-là, nous quittions Ste-Colombe à bicyclette pour rejoindre Bélesta et ensuite nous allions à pied pour atteindre la Maison du Garde à l'entrée de la forêt de Bélesta. Il a fallu attendre que mon père, Georges GRAMONT, soucieux des risques et accidents que nous pouvions courir, se joigne à nous lors de ces sorties estivales de fin de semaine pour nous transporter avec son véhicule Hotchkiss sur les lieux de nos recherches. Yvette, épouse de Toinot, nous accompagnait et pendant que nous nous livrions à nos activités, elle préparait repas. Et c'est dans une ambiance joyeuse que l'on se retrouvait tous ensembles autour d'un bon repas.

Il est évident que beaucoup de ces activités et de ces rencontres ont été brillamment exposées dans diverses publications de l'Echo des Ténèbres et de Spélé Aude par notre cher ami Toinot, et ceci d'une façon admirable. Cela m'a permis également d'être proche et tenu au courant des activités multiples de ce groupe spéléo dont mes activités professionnelles en distance et non par le cœur m'avaient éloigné.

Cela ne peut que nous rapprocher encore plus de Toinot. Nous ne t'oublierons pas, cher Toinot, tu as été et tu occuperas jusqu'au restant de nos jours une tranche inoubliable de notre jeunesse et bien sûr de notre vie.

Souvenirs de famille (Marie-Françoise Astier dite "Mimi Cau")

Sur l'enfance de mon père, je ne sais que peu de choses. Il est né à Alzonne et y a vécu sa jeunesse car il a perdu son père très jeune et a été élevé par ses grands-parents viticulteurs.

Je ne sais pas ce qui l'a décidé à devenir professeur d'anglais. Il s'est donné à fond dans son travail et avait la réputation d'être un prof sévère, juste, chez qui il n'y avait aucun chahut mais qui obtenait des résultats probants avec ses élèves.

Dès que les vacances arrivaient, nous ne perdions pas une minute et nous filions dare-dare à Ste Colombe. Autant il était un père très sévère à la maison, autant il nous laissait une paix royale dès que nous étions à Ste Colombe. Il passait ses journées à "l'usine", chez M. Gramont, siège du club spéléo du Plantaurel. Il y retrouvait ses amis : M. Gramont en tête pour qui il éprouvait une grande admiration, Guy Palmade, Max Gramont, Max Brunet, Georges Rives, Vacquié, etc.

Papa préparait ses camps spéléo où Maman était la seule femme et donc la cantinière ! Les semaines passaient très vite en vacances et je me souviens surtout de soirées immuables après souper devant la porte. Mes parents et ma grand-mère sortaient des chaises sur le trottoir et il y avait toujours des gens qui passaient, s'arrêtaient un moment et se racontaient leurs dernières histoires de pêche, champignons ou balades en forêt.

Pendant les 20 ans de mon enfance, il n'a jamais été question d'aller ailleurs en vacances qu'à Ste Colombe ! Il mettait son "uniforme" dès le 1er juillet (short, chemisette et sandalettes) et jusqu'au 15 septembre !

En famille, mon père avait l'art de raconter les histoires avec beaucoup de vie, d'esprit et beaucoup d'humour. Il était servi par une voix forte (tant d'années passées à gueuler sur des élèves inattentifs pour leur faire rentrer quelque chose dans le crâne) et il mettait tout son talent à nous faire revivre ses histoires de spéléo, de pêche ou de montagne.

Quand il a été trop âgé pour faire vraiment de la spéléo active, il s'est tourné vers les randonnées en montagne, seul ou avec Maman quand c'était plus facile. Son grand regret a été de ne pas pouvoir gravir le Mont Blanc à cause du mauvais temps. Par contre, le St Barthélémy était quasiment son jardin ! Il avait besoin d'activité physique et dès qu'il faisait beau, il fallait qu'il sorte et malgré sa maladie il a continué jusqu'au bout à bouger, ne serait-ce que monter et descendre les escaliers de l'hosto en se chronométrant. Quand je l'engueulais au téléphone, il riait et disait que ça lui faisait du bien !...

En résumé, mon père était un homme sincère, chaleureux, fidèle à ses convictions (aussi bien politiques que religieuses) mais nullement sectaire. Il acceptait la discussion et la contradiction mais ne supportait pas la mauvaise foi et le mensonge. Il pouvait s'emporter très fort contre certaines personnes et je me souviens qu'il me racontait des réunions de spéléo houleuses où il menaçait de tout laisser tomber mais il ne le faisait jamais car il aimait trop les rapports avec les autres. Ces discussions le stimulaient même s'il râlait en rentrant à la maison, il continuait quand même.

La spéléo a été sa grande passion avec la lecture (il n'était pas télé et il râlait chaque fois qu'il regardait les infos !) et l'écriture. Ses lettres sont un modèle : de petits romans où il raconte précisément les faits avec toujours un humour un peu "british". D'ailleurs, il adorait les films de Charlot, Laurel et Hardy, Buster Keaton, etc.

Dernier point, ce n'était pas un homme d'argent. Il n'en avait jamais sur lui et quand il allait acheter le journal et le pain, il ne prenait que le montant exact. Si le journal avait augmenté, tant pis, il était "chocolat" comme il disait !

Les deux dernières années de sa vie ont été assombries par les contraintes de sa maladie mais il ne se plaignait jamais, même pas de la bouffe de l'hôpital, c'est dire !

En résumé, il laisse un grand vide dans la famille. Heureusement il nous reste le souvenir d'un homme exceptionnel, je n'ai pas peur de l'écrire, même si je ne le lui ai jamais dit bien sûr, car nous sommes tous très pudiques et avons du mal à exprimer nos sentiments en famille. Ma mère est aussi comme ça, je sais qu'avec Papa ils formaient un couple qui a tout partagé. Elle l'a accompagné partout (sauf sous terre car elle avait peur) mais a toujours refusé d'apprendre l'anglais !

Evocation (Pierre Clottes)

Que rappeler ?... Antoine ?... C'était une volonté farouche et une intransigeance passionnée, un acharnement irréductible, comme en témoignent par exemple les nombreuses désobstructions dont je me citerai que la perte du ruisseau de Comus (creusée et recreusée X années durant, ...en pure perte !) et celle des Caoussous ou des Mijanes (avec succès).

Antoine ?.. C'était un engagement total dans tout ce qu'il entreprenait et une conviction argumentée d'avoir toujours raison ! En voici un exemple : je lui avais demandé en 1998 de faire une intervention à l'occasion d'une soirée-conférence sur les « grottes et gouffre du pays de Sault » que j'avais organisée à Belcaire. Il a commencé par m'envoyer sur le sujet six pages manuscrites de son écriture serrée sans un blanc sur la page ! Rien que la lecture de ces pages et les digressions et commentaires dont il était coutumier auraient facilement pris deux heures ! Alors que je ne lui donnais que quarante-cinq minutes ! J'ai eu un mal fou à le convaincre de réduire son intervention et il n'était pas content parce qu'il avait préparé quelque chose de complet, formant un tout, qu'il ne pouvait ni dissocier ni amputer ! Il a quand même tenu son auditoire (80 à 90 personnes) pendant plus d'une heure et a été très applaudi.

C'était aussi un rouspéteur ou un rouscailleur, Antoine ! (J'aime bien ces mots qu'il employait pour lui-même) mais ceux qui le connaissaient bien savait qu'il était aussi la gentillesse même, sensible et serviable : étant nommé à Carcassonne à la rentrée 1973, je n'avais pas encore trouvé de logement et ma fille Marie-Luce entrait en 5e au collège La Conte où il enseignait. Yvette et lui l'ont hébergée tout simplement chez eux, comme leur fille, pendant plus d'un mois ! Merci encore.

C'était aussi une mémoire pointilleuse extraordinaire au service d'une plume lyrique et prolixe qui l'ont conduit à rédiger tant et tant d'articles... LA mémoire de son club et de la Spéléologie audoise !

Parfaitement conscient de sa maladie, ce montagnard de toujours était passé nous dire bonjour à Belcaire trois ou quatre mois avant sa fin, au retour d'une « petite » balade de 4 heures sur les crêtes de Camurac, en ayant projeté une autre le lendemain, avec son épouse, au-dessus du col du Puymorens...

Témoignage de Jean-François Vacquié

C'est vers la fin des années soixante que je rencontrais sans doute Antoine sous terre pour la première fois, au Trou du Vent du Pédrou, lors d'un exercice Spéléo Secours auquel mon oncle Jacques Vacquié m'avait convié.

J'en garde un souvenir éternellement ébloui : il y avait foule et la cavité étincelait sous les lumières de tous les spéléos. A la seule étroiture récalcitrante au passage de la civière, peut-être Antoine était-il du nombre de ceux qui, au-delà de l'obstacle, râlaient en tirant à hue, pendant que j'aidais modestement ceux d'en deçà qui tiraient à dia. Le brancard et le blessé fictif ayant tous deux survécu à l'épreuve, les exercices secours de l'Aude purent par la suite prendre définitivement leur essor souterrain.

Chaque été, quelque part dans un champ sous Comus, en allant vers les Gorges de la Frau, une équipe de terrassiers boueux ou poudreux suivant la météo locale s'acharnait à creuser de leurs (propres !) mains un trou d'environ 7 mètres de profondeur sur 2 mètres de diamètre.

Chaque année, la crue de l'Hers remplissait totalement à ras bord ce fragile monument inconnu dédié à l'espérance spéléologique qui, chacun le sait, ignore toute expression de ras le bol. Je me rappelle y avoir eu l'honneur d'y sculpter quelques trous de mine autour du trou de serrure qui nous servait de fil, de Sésame virtuel, trou ténu dans lequel un ténia même eût éprouvé quelque difficulté à se retourner.

Mais c'était une porte d'entrée, non, une perte, appris-je, et rien sur le terrain ne devait être négligé pour parvenir au royaume souterrain du Nirvana : l'abyssal et supposé colossal réseau de Fontestorbes, sur le Styx duquel nous nous voyions, explorateurs valeureux, voguer dans nos rêves en canot motogodille. Heureusement, la cuisine d'Yvette raffermissait l'énergie matérielle dont ces conquérants de l'inutile ( ?) usaient humblement dans leur pure et grandiose quête de perte... de temps.

J'appris donc que la spéléologie était une chaîne d'entraide et d'amitié sans pareille, que la volonté d'un seul d'entre eux pouvait tous les conduire, au-delà des impossibilités géologiques du moment, au-delà de la puissance des roches, des forces du temps et des complications infinies de la nature, si ce n'est à soulever des montagnes, ma foi du moins, à les creuser, et parfois, même si cela peut nous paraître aujourd'hui totalement surréaliste, à réaliser, pour de vrai, des miracles.

Grotte du Pylône, vallée du Rébenty. Cela fait des heures et des heures, plusieurs sorties que nous désobstruons : forage des trous de mines, dynamitage, ramassage des cailloux comme à Cayenne, remblayage. La suite est très mince, l'espoir de découverte nous fuit. Nous allons partir, abandonner ce chantier. Alors, Antoine reprend la massette. Une dernière fois ? Non ! Il la brandit, il frappe avec moult rage non sur le trou de mine récalcitrant, mais deux mètres derrière, à notre stupéfaction, en pleine paroi. Révolte dérisoire ? Stupeur, la massette a traversé la roche comme du carton pâte ! derrière, il y a du noir, c'est la suite et le souffle de l'aventure nous parvient en plein rêve éveillé.

A l'époque, les clubs de spéléo cultivaient une vieille idéologie sous-terrienne : leurs grottes, leurs trous, leurs massifs. C'était l'âge des fiefs souterrains, des luttes sombres et des concurrences inavouées par voie de presse interposée, aux frontières indéfinies si ce n'est obscures de leurs domaines. Nous-mêmes, jeune sous-piétaille, étions prêts moralement à briller en cours d'exploration, jusqu'au sacrifice suprême pour l'honneur et la renommée de notre club. Aussi ne peut-on vraiment aujourd'hui imaginer combien il fallait être révolutionnaire, voire un homme éclairé en ces temps de ténèbres, pour prêcher prospections, explorations, réunions interclubs, pour former, motiver, encadrer tous ces jeunes d'horizons divers mais sans moyens de locomotion, pour forger un esprit fédéral, pour faire connaître et reconnaître notre activité, que dis-je, notre passion, notre sacerdoce.

Antoine avait une connaissance fantastique du terrain : pas un recoin de plateau de Sault où il ne soit déjà allé. Mais il ne lègue pas aux futures générations de spéléos les cendres d'une bibliothèque brûlée, comme les anciens sages d'Afrique. Tout son travail était scrupuleusement noté, consigné. Chaque sortie avait d'office son compte-rendu de sortie sur un cahier ad hoc : une mine savoureuse d'informations pour l'avenir des recherches. Sans parler de sa contribution essentielle aux publications.

Antoine, un homme d'action, un homme de passion, un homme de cœur, mais aussi un pédagogue, un philosophe de la vie, un homme de réflexion, écrivain et conteur hors pair. Un homme chaleureux dans la nuit froide des cavernes, un homme d'amitié fidèle, un homme droit. Un homme d'engagement, lui qui tout jeune avait servi de traducteur interprète auprès d'un parachutiste américain au maquis. Toutes les valeurs républicaines portées le long de sa vie telles un flambeau. Un rien chevaleresque, tel un Don Quichotte de l'aventure spéléologique libre.

A la place du heaume, tu portais un chapeau. Nous dynamitions dans la doline du Rec du Sourd, forêt de Bélesta. Le club épuisait alors un stock de mèche lente qui avait pris l'humidité et se consumait, quand elle le voulait bien, de façon fantaisiste. 15 cm de mèche lente à peine, par souci d'économie, puis le détonateur, le cordeau et les cartouches de dynamite dans quelques uns de ces multiples et multiples trous de mine que nous avions foré au marteau, au burin et au « Ouille, Ouille, Ouille ! » durant tant d'années. J'avais installé des starting-blocks pour aller au plus vite me mettre à l'abri de l'explosion derrière les sapins dans la pente de la doline. Allumage. La mèche fuse normalement. Top départ de la course. Glissade dans la boue de la pente et descente involontaire en toboggan jusque juste devant les 7 cm de mèche fumante restants ! Nouveau départ fulgurant, la boue vole derrière. Planqués à 15 m à l'abri relatif derrière les gros troncs des sapins, nous attendons l'explosion dans un fou rire général. Les dernières secondes s'écoulent : rien ! Attente. Deux minutes au moins. Foutue mèche ! Antoine jette avec circonspection un petit coup d'œil prudent et discret de derrière son sapin sur le lieu du chantier, en admirable synchronisation avec l'explosion. Un petit caillou volant percute son chapeau, alors l'appendice essentiel de sa dignité, et l'envoie voler à terre deux mètres plus haut et plus loin. Une ribambelle de cailloux, projetés haut dans le ciel, retombent sur son sapin en ombrelle et en rebondissant sur les branches : ding, ding, ding ! Plus rapide que leur chute, Antoine sauve son fier chapeau du cabossage final.

Bien après, un autre incident de tir eut lieu, dû à la combustion trop lente de la bougie du système de mise à feu retardé à bougie, et breveté SSP. Antoine redescend prudemment, la bouche ouverte, on ne sait jamais, au gouffre Jean-Bernard. On se l'imagine approchant du lieu fatidique en rampant sur la pointe des pieds. Il arrive juste au moment précis où le ressort fait basculer la bougie dont la flamme allume devant ses yeux soupçonneux puis effarés la trop courte mèche lente ! Mieux que dans les dessins animés de « Bip Bip et du coyote » où les protagonistes flirtent avec le mur du son, Antoine remonte en vol ascensionnel accéléré les deux puits, en rebondissant certainement au passage sur les parois, donc tous feux éteints... mais le feu au cul !... « Eclairez-moi ! Eclairez-moi ! » Quelle ne fût pas notre joie inénarrable de voir ce jour là notre digne et cher Antoine propulsé littéralement en l'air à la sortie du gouffre par le souffle de l'explosion, sain et sauf, mais en pièces détachées si j'ose dire : le cuissard pourfendu, la lampe acétylène sous-ballante mais suivant fort bien son propriétaire, comme par magie, à deux mètres de distance, telle un astéroïde fou ayant tenté de météoriser plusieurs fois sa planète et apparemment encore toute tressautante d'intentions belliqueuses, le casque brinqueballant comme un chien fidèle loin derrière son maître retenu par le tuyau élastique, puis coincé, soudainement décoincé et par les vertus du latex, décrivant une magnifique parabole élastique finale, le tout attaquant par surprise, traîtreusement, dans le dos, Antoine haletant qui se croyait sauvé... enfin ! De nouveau, oui, incroyable ! Un saut extraordinaire, sublime, digne de la médaille d'or des Jeux Olympiques !

Je me souviens de ces moments intemporels où, transformés en apprentis, nous l'aidions à fabriquer les échelles du club, dans le local de l'usine de M. Gramont, à Ste Colombe sur l'Hers, dans ce décor industriel de la fin du XIX° siècle. Ces journées d'hiver brouillardeuses où il tapait à la machine à écrire dans le petit bureau. L'odeur du buis, émanescente, celle des peignes en corne, la cachette de la clef, le vieux plancher récalcitrant à l'ouverture de la porte, le petit poêle, sa veste et son chapeau au portemanteau derrière la porte, des vieilleries des années 30 sur les murs humides et décolorés, le bureau près de la fenêtre et puis l'armoire au trésor : les archives du club, qui valaient bien Robinson Crusoë.

Ces moments joyeux, ces chants entonnés à pleine voix lors des repas de fête, ou bien à l'omelette pascale. Quand nous partions à 4 ou 5 heures du matin vers le mont la Frau, nous, tous les jeunes entassés à l'arrière de ta 404, c'était déjà partir loin, comme en expédition. Tu connaissais les sentiers magiques dans les buis, formant des forêts mystérieuses, qui nous menaient vers les lapiaz, les alpages, les sommets et les gouffres de nos rêves d'adolescents. Si des -1000 accessibles eussent existé, nul doute que vous, les anciens, Antoine, Georges et tous les autres, vous nous auriez ouvert la voie jusqu'au fond.

Antoine, la vue est belle depuis la montagne d'Alaric. Elle ne porte pas jusqu'en Extrême Orient, mais ces paysages sublimes, ces rivières souterraines, ces champs de perles des cavernes, je les vois aussi un peu pour vous, grâce à vous. Aller, passionnément, à la découverte de la nature, des autres, au-delà de soi.

Merci Antoine, bon voyage et chapeau... chapeau bas.