Un exemple de pseudo-karst dans les molasses : le plateau de Lacamp

Situation Géographique

Le Plateau de Lacamp, situé à 20 km au S-SE de Carcassonne, constitue une unité hydrogéologique et morphologique originale au coeur des Corbières occidentales. D'une superficie de 12 km² environ, ce plateau culmine à 739 m et constitue une haute terre dont l'altitude reste supérieure à 600 m. Le climat est de type océanique-montagnard avec une pluviométrie dépassant les 1000 mm par an et le plateau constitue d'ailleurs une limite climatique entre les influences purement méditerranéennes à l'est et océaniques à l'ouest.

A vocation ancienne pastorale, ce plateau se trouve confronté à un problème de désertification et de remplacement des surfaces en herbe par la forêt ce qui n'est pas sans conséquences sur le débit des sources périphériques. Dans ces conditions et malgré des précipitations abondantes, l'infiltration efficace est probablement inférieure à 200mm/an actuellement.

Géologie

Formé par les terrains continentaux de la molasse de Carcassonne d'âge Cuisien-Bartonien, le plateau est séparé des terrains paléozoïques du Massif de Mouthoumet par une dépression correspondant à un accident structural ancien qui a rejoué lors de la phase Pyrénéenne. Cette phase orogénique majeure, postérieure au dépôt de la molasse, a surélevé le massif et dégagé le Paléozoïque enfoui depuis la fin du Crétacé.

Au Miocène et au Quaternaire, l'exhaussement se poursuit en même temps qu'un abaissement important de la Méditerranée, ce qui va créer des conditions favorables à la karstification.

Le plateau forme une bande synclinale d'axe ESE-WNW légèrement redressée au sud.

Au-dessus de l'Ilerdien marin représenté par des grès à huitres et des marnes à Turitelles, la molasse de Carcassonne apparaît sous trois faciès principaux :

Morphologie

Les phénomènes karstiques sont importants et se développent dans les poudingues et marnes (formations principales). Ils marquent fortement la morphologie et l'hydrologie du plateau. Les dépôts du Cuiso-Bartonien présentent des passages latéraux de faciès et des variations de puissance très conséquents.

La surface du plateau est structurée par des vallées sèches. De nombreuses dolines en cuvette défoncent le plateau (+ de 80) et apparaissent dans des secteurs privilégiés. L'érosion a dégagé des corniches dans des niveaux durs, ce qui donne parfois des cascades.

Galerie typique entièrement creusée dans les marnes.

Contact spectaculaire entre les marnes et les poudingues dans la Grotte de la Madourneille.

De nombreux chenaux conglomératiques fluviatiles reposent sur les marnes sous-jacentes. Les cavités sont creusées dans des marnes argileuses (30 à 35 % de CaCO3), des marnes (- de 50%) ou des marno-calcaires (60%) (analyses calcimétriques, Lab. Géol.-Pétr. Univ. P.Sabatier. Toulouse) et des poudingues dans lesquels la Grotte de la Madourneille développe plusieurs centaines de mètres de galeries.

A notre connaissance, c'est un cas unique en France et les cavités du plateau sont, à ce jour, les plus importantes de notre pays dans ce type de roches.

De nombreuses galeries se localisent au mur des chenaux conglomératiques et se développent ensuite dans les marnes argileuses, marnes ou marnes calcaires sous-jacentes. Les grandes salles sont souvent creusées dans les marnes et marno-calcaires. Dans ce type de cavités, les facteurs mécaniques et les processus d'érosion semblent prépondérants dans la spéléogenèse. L'accumulation des insolubles provenant des roches encaissantes (jusqu'à 70%) constitue généralement l'obstacle terminal des cavités. La compréhension des phénomènes de dissolution, de transport et de l'âge de ce "pseudo-karst" reste passionnante et pleine de promesses.

Spéléologie

Les cavités sont assez nombreuses (40 env.), quatorze dépassent 50 m de développement, quatre dépassent 500 m, deux d'entre elles atteignent 800 m et 119 m de profondeur (Caunhà de Rouairoux) et 1 600 m et 59 m de dénivelée (Grotte de la Madourneille).

La plupart des galeries sont creusées dans le pendage qui est faible ce qui donne des galeries inclinées sans puits et aux sections caractéristiques.

Coupe géologique de la Grotte de la Mouliéro (d'après M. Yvroux).

Presque toutes les cavités restent dans la même strate (voir coupe ci-dessus) et butent souvent sur des méandres très étroits dans les poudingues. Seule, la Grotte de la Madourneille échappe à ce schéma puisque ses galeries traversent à plusieurs reprises les niveaux marneux et conglomératiques. Si la connaissance spéléologique de ce plateau commence à être bien avancée avec plus de 5 km de galeries reconnues à ce jour, on se rend compte quand même du potentiel important de découvertes qui restent à faire et qui demanderont un investissement conséquent et une association de techniques lourdes (pompages + désobstructions) pour espérer découvrir et prolonger les grands réseaux qui sillonnent le sous-sol du plateau.

Les potentiels les plus importants sont de l'ordre de 350 m de dénivellation pour 4 km de longueur théorique.

Cavité
 
Développement
Dénivellation
Indice Corbel
Racine cubique
Grotte de la Madourneille
1650 m
- 6 / + 53
4,9 x 2,4 x 0,59 = 6,93
1,9
Caunhà de Rouairoux
800 m
- 119 / + 0
3,73 x 1,5 x 1,19 = 6,66
1,88
Event de Coumescure
700 m
- 20 / + 20
4 x 1 x 0.6 = 2.4
1.34
Grotte du Cinquantenaire
710 m
- 55 / + 0
2,9 x 1 x 0,55 = 1,6
1,17
Aven de Coume Belle 2
555 m
- 29 / + 0
1,9 x 0,7 x 0,3 = 0,4
0,74
Grotte de la Mouliéro
310 m
- 54 / + 0
2,2 x 0,5 x 0,55 = 0,6
0,84

Tableau spéléométrique des principales cavités du Plateau de Lacamp (mise à jour de Janvier 2011)

Hydrologie

Le fonctionnement hydrologique du plateau s'apparente à celui d'un karst classique avec pertes, cavités actives drainantes et émergence des eaux à un point bas. Les recerches récentes ont permis de préciser l'étendue des bassins versants des deux sources principales qui drainent le plateau, la Source de Coume Escure et celle de la Madourneille. D'autres groupes de sources satellites, de faible importance complètent le système et se superposent aux bassins principaux.

Source de Coumescure

Elle représente l'exutoire principal du massif. Son débit peut passer de 5 l/s en extrême étiage à 10 m³/s en très grosse crue. Elle prend naissance par plusieurs griffons au pied d'un cirque rocheux dans lequel s'ouvre une sortie temporaire active lors des grandes crues. Cette galerie d'environ 80m de long donne accès à un plan d'eau suivi d'un important siphon long de 120 m pour 10 m de profondeur. La galerie est ensuite barrée par une trémie. Le bassin d'alimentation (voir carte ci-dessous) s'étend sur une grande partie du plateau jusqu'aux dolines du Pla de Vidalbe.

Essai de bilan

Source de la Madourneille

Elle sort d'une rivière souterraine qui débouche d'une galerie traversant plusieurs niveaux conglomératiques et marneux et est captée pour le village de Mayronnes. Elle a fait l'objet de plusieurs campagnes de pompages et de mesures avec la mise en place d'un seuil pour suivre en continu l'évolution du débit de la source. les hydrogrammes déjà obtenus montrent un débit d'étiage faible avec 2 l/s et des crues allant jusqu'à 2 m3/s et une réponse aux précipitations confirmant que ce système est avant tout transmissif et peu capacitif ce qui est encourageant pour la poursuite des investigations spéléologiques. Le bassin d'alimentation concerne la partie est du plateau jusqu'au Pla de Vidalbe.

Essai de bilan

Plusieurs systèmes secondaires apparaissent à la périphérie du plateau et correspondent à des situations diverses (circulations dans des formations grèseuses fissurées, circulations épikarstiques de versants, sources d'éboulis ou systèmes karstiques élaborés). Celui de Coume Belle / Rabassa est actuellement le mieux connu grâce à un traçage positif et aux explorations spéléologiques (Aven de Coume Belle 1 : 175 m et Coume Belle 2 : 555 m).

Carte hydrologique du Plateau de Lacamp

La Grotte de la Madourneille

Inconnue jusque dans les années 85, cette cavité est devenue la plus importante et la plus intéressante du plateau avec 1650 m de développement pour une dénivellation de 59 m. Elle a pu être explorée grâce à plusieurs campagnes de pompages organisées par le SCM et l'aide des habitants de Mayronnes. Ces travaux ont permis d'améliorer le captage du village qui dispose maintenant d'une ressource fiable.

La cavité est essentiellement composée de deux actifs pérennes (en bleu foncé sur le plan ci-dessous). Le ruisseau principal est horizontal et coupé par de nombreux siphons et plans d'eau, il s'achève sur un S4 dans lequel a été installé le captage. A 100 m de l'entrée, il reçoit un petit actif de plus de 300 m de long (l'affluent de la Vierge Muette) au parcours difficile qui s'arrête sur un étroit méandre dans le poudingue à +15 m. On peut accéder à cet actif par une entrée supérieure (le M3).

Entre le S3 et le S4 arrive un actif temporaire (l'affluent de la Vierge Bavarde) qui traverse plusieurs formations marneuses et conglomératiques et remonte sur plusieurs centaines de mètres jusqu'à la cote +53 m dans des paysages exceptionnels sur le plan géologique. Cet affluent n'est accessible qu'après pompage et s'arrête sur des passages étroits.

La cavité comporte également des tronçons de galeries inactives (anciens passages de cours d'eau) qui se dirigent vers la surface.

Schéma de la Madourneille avec en bleu les parties actives et en orange les paléo-drains